À travers ce retour aux origines, il partage une vision humaniste et éclairée de l’analyse, où l’écoute et la compréhension sont au cœur de son engagement.
Y a-t-il plus belle trajectoire que celle qui consiste à pouvoir accomplir son rêve d’enfant ? Petit garçon, je voulais devenir chirurgien. Ce rêve me hantait à tel point qu’en classe primaire, je dessinais des blocs opératoires.
Sans doute les infirmités corporelles de mes deux grands-parents paternels dévoilent-elles une partie de cette fascination enfantine ? Elle, avait sa main gauche déformée, crochue d’apparence, lui était bossu. Ce n’était pas tant leur singularité qui m’interpelait que l’absence d’explications satisfaisantes quant à ce qu’il leur était réellement arrivé : je soupçonnais à travers ces morceaux de corps meurtris un insondable secret.
Hélas ! Mes allergies chroniques aux mathématiques brisèrent assez tôt mon précieux rêve. Exit la filière scientifique ! Adieu les études de médecine, le bloc opératoire, le soin du cœur et des reins… Littéraire, tu seras ! Enseignant, tu choisiras ! Professeur de Lettres Modernes, tu deviendras. Qui plus est, auprès de jeunes « sauvageons » et ce, dès ton premier poste.
Car enfin, un psychanalyste verbal et corporel est-il autre chose qu’un chirurgien de l’intériorité humaine ? Prof, psy et pèlerin spirituel, trois légitimités qui se complètent. Prof de lettre ou prof de l'être, chirurgien de l'âme humaine ou accompagnateur psycho-spirituel ? Trois facettes qui m'invitent à vous partager l'itinéraire d'un homme en quête de sens.
Ce furent mes élèves qui m’enseignèrent et me ramenèrent à mon rêve de gosse. Ma formation universitaire s’avérait inadaptée à mes élèves : ils étaient rétifs à tout enseignement du français. Comment leur donner tort ? Qu’en avaient-ils à faire alors que tant d’autres questions plus cruciales et sans réponse fracassaient leur intériorité ? Révoltés, ils l’étaient et n’aspiraient qu’à pouvoir en découdre avec l’autorité que je représentais. Je n’ai pas démissionné, j’ai tenu. Aussi, très naturellement, arriva ce qui était comme programmé : Michel, un élève de 6ème, plus grand, plus trapu que ses camarades, éprouvait un malin plaisir à effrayer, terroriser les plus petits, les plus faibles. Ses yeux me narguaient, en particulier lors des récréations, vérifiant que je ne perdais rien du spectacle. Étrange ballet de regards ! Je me revois lors de cette récréation en 1984, bondir vers lui, le saisir à la gorge, le soulever de terre tout en lui hurlant dessus. L’intervention de mes collègues ainsi que les yeux éberlués de Michel me firent réaliser ce qui advenait. Que m’arrivait-il ?
J’avais été instantanément replongé dans de multiples instants de mon enfance où mon père s’acharnait, se défoulait sur moi. Qu’importait le prétexte ! La folie qui s’emparait de lui réclamait son expulsion dévastatrice et le châtiment du coupable. J’avais complètement oublié ces moments au cours desquels le petit garçon ne comprenait rien à la déferlante qui s’abattait, ignorant tout du pourquoi des insultes, et encore moins au sempiternel « petit con » qui mettait fin à l’humiliation subie.
J’avais beau travailler dans un château, les murs des classes et le parc suintaient une incroyable violence. Allais-je me contenter d’en être un rouage, voire un instrument ? Ou alors trouverais-je le moyen d’apporter un autre regard, une nouvelle approche ? Au plus profond de moi, il était hors de question que je puisse ressembler à mon père, ivre de ressentiments, de colère, lors de ces coups de sang !
C’est donc assez logiquement que je me suis tourné vers la psychanalyse verbale, encore en vogue à l’époque. Dans un premier temps, ce fut pour moi-même : je devais en convenir, j’avais mal, j’avais voulu l’ignorer.
Je n’avais rien pardonné à mon père, je lui en voulais encore terriblement. Face à lui, je demeurais « l’éternel petit-con ». Incapable que j’étais de l’affronter ou de me réconcilier ! Dans un second temps, ce fut pour me former en tant que psychanalyste verbal, d’obédience freudienne. Ce double parcours dura sept années et m’apporta un début de reconnaissance et de considération de la part de mes élèves et de mes pairs. Qu’y ai-je principalement gagné ? La conviction de l’importance de la relation à autrui, du lien à travers les attitudes, les gestes, les mots : en un mot, ce souci de l’autre, qu’il soit élève ou patient. J’y ai également trouvé la reconquête d’une certaine estime de soi. Les yeux qui traversaient les miens me témoignaient non plus horreur, effroi ou déception, mais bien plutôt admiration, estime, plaisir à travailler ensemble. Ma double appartenance – prof et psy- semblait inverser la pente triste du destin. J’aurais pu m’en contenter. Ma devise de l’époque tenait en ces mots : » ni Dieu ni Maître », tant je misais tout sur l’outil psychanalytique. Le « vaurien » que je pensais être parvenait malgré tout à reconquérir une certaine légitimité à être aimé et commencer à aimer